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Miser sur l’entrepreneuriat pour intégrer les migrants

En misant sur l’entrepreneuriat, la Fondation internationale pour la population et le développement (IFPD), qui fête ses 20 ans cette année, espère que les migrants soutenus dans un projet d’activité personnel et indépendant pourront plus facilement trouver leur place en Suisse et s’intégrer dans l’économie et la société. Lancé il y a deux ans, le programme Alter Start donne aujourd’hui ses premiers fruits.

Psychologue, infirmière et femme: Christine Magistretti a dans sa personnalité et son parcours tous les ingrédients pour s’engager en faveur des mères et des femmes du monde entier, afin de leur apporter des outils bénéfiques pour leur santé, leur indépendance financière, leur alimentation,… C’est pour ce faire qu’elle a créé en 1999 la Fondation internationale pour la population et le développement (IFPD), qu’elle accompagne et contribue à faire grandir depuis deux décennies. Santé, éducation, entrepreneuriat social,… les axes sont pluriels, avec une série de projets au Brésil, au Népal, dans plusieurs états de l’Inde mais aussi en Suisse.

Et c’est d’ailleurs dans notre pays qu’un projet majeur de l’IFPD a été mis sur pied. Avec Alter Start, la Fondation poursuit son action entamée dans les pays émergents, en accompagnant les migrants, et particulièrement les femmes. Alors que la fondation va fêter ses 20 ans le 25 octobre à Rolle, rencontre sur le thème de ce programme basé en Suisse avec Hélène Bayeux, directrice exécutive de l’IFPD.

Bilan: En quoi consiste le projet Alter Start ?

Hélène Bayeux: Alter Start est un projet porté par la Fondation internationale pour la population et le développement (IFPD) qui est destiné aux migrants ayant une compétence et un permis F au moins, et qui veulent monter une entreprise. Nous travaillons avec eux pendant un an voire plus, avec un accompagnement spécifique et personnalisé, grâce à des partenaires de choix comme l’EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrants), le Bureau cantonal pour l’intégration des étrangers et la prévention du racisme (BCI), la CVCI (Chambre vaudoise de commerce et d’industrie),… mais aussi un pôle de parties prenantes qui viennent des univers académiques, du monde de l’entreprise,… Grâce à eux notamment, nous pouvons nous appuyer sur quinze coachs bénévoles. La population visée consiste surtout en des réfugiés précarisés et quelques migrants non réfugiés, donc des gens avec des parcours de vie difficiles, des vies cassées. Depuis que le projet a été lancé il y a deux ans, nous avons accueilli 25 bénéficiaires. Cinq d’entre eux ont retrouvé un emploi et quatre ont lancé leur micro-entreprise. Beaucoup sont en phase de tests et devraient voir leur avenir professionnel s’éclaircir dans les semaines ou mois à venir.

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Y a-t-il des conditions particulières pour intégrer le projet?

Hélène Bayeux. (DR)
Oui, nous avons défini trois pré-requis de base: avoir au moins un permis F (le permis N n’est pas pris en compte), avoir le niveau B2 en français, et avoir une compétence-clef qui peut être la couture, l’onglerie, la cuisine ou la mécanique, mais un diplôme n’est pas nécessaire. Certains arrivent toutefois chez nous avec des diplômes et nous les prenons en compte, mais souvent ces documents ne sont pas reconnus en Suisse. Pour nombre d’entre eux, cela constitue un vrai renoncement que de les empêcher d’exercer leur vocation. Nous avons notamment le cas d’une Syrienne architecte qui est non solvable sur le sol suisse car son diplôme n’est pas reconnu et qui est aujourd’hui traiteur. Notre travail ensuite, c’est de découvrir la compétence qui leur conviendra et trouver le tremplin du charisme qu’ils incarnent. Mais il faut a minima cette petite compétence clef que l’on peut développer et faire croître. La grande majorité sont des personnes qui avaient déjà cette compétence voire le métier dans leur pays d’origine. Souvent ça reste des métiers très appliqués. Nous avons dans nos stages et nos processus la capacité à accompagner des projets à valeur ajoutée. Mais on veut garder le focus sur les personnes plus précarisées. Cependant, nous avons les ressources pour faire l’accompagnement sur des projets avec un volet d’innovation technologique. Nous avons notamment accompagné une chercheuse vers l’EPFL.

Pourquoi miser sur l’entrepreneuriat dans le processus d’intégration des réfugiés et migrants?

Nous avons observé qu’il y a souvent une frilosité vers l’entrepreneuriat, car on imagine davantage les migrants s’intégrer via l’obtention d’un emploi salarié. Grâce à notre partenariat avec l’EVAM, il peut y avoir concomitance entre les aides sociales auxquelles ont droit les réfugiés et les revenus de la micro-entreprise, les premières reculant progressivement. Nous avons face à nous des personnes qui viennent de pays où la dimension entrepreneuriale est facile, de la boutique de rue à la société technologique. Pour nous, il faut transformer l’idée parfois d’un business facile et sans règle vers une activité en ligne avec la règlementation, la culture et les lois suisses. On se rend compte qu’une bonne partie va se diriger vers l’entrepreneuriat car ils n’ont pas trouvé d’alternative pour avoir des revenus: l’accompagnement est d’autant plus crucial.

Vous évoquez le défi de la réglementation et des normes…

Le fait de découvrir les normes administratives, juridiques, fiscales,… est un vrai apprentissage pour des individus qui ont parfois grandi et vécu dans des environnements très différents. Il est indispensable de dépasser leur propre horizon, leur communauté d’appartenance,… ils vont privilégier le recours à la communauté plutôt que de faire appel au micro-crédit… Mais au-delà de ces impératifs, il y a la nécessité de développer leur propre réseau et leur clientèle. Aujourd’hui, avec nos réseaux, on peut leur trouver des partenaires, des fournisseurs, des clients au-delà des cercles traditionnels.

Comment se passe concrètement l’accompagnement des bénéficiaires?

Nous avons mis en place un rendez-vous hebdomadaire par groupe, au cours duquel chaque porteur de projet raconte sa joie de la semaine, puis on répartit l’ensemble des participants par binômes qui vont parfois évoluer. Une fois par mois, nous avons une session à la CVCI avec d’autres participants de la société civile et d’autres migrants, afin de travailler sur des études de marché, des impératifs légaux,… avec intervention d’entrepreneurs issus de la migration et d’experts du domaine concerné. Cet accompagnement dure un an et demi, certains sortent plus vite, d’autres vont devoir dépasser le délai d’un an et demi.

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Et avez-vous des retours d’expérience, des avis, des commentaires?

Séance de coaching. (DR)
Les retours que l’on a sont très concrets. C’est un service gratuit et on sent le désir qu’ils ont de rendre quelque chose aux personnes qui leur donnent du temps, des compétences, des savoirs,… Nous avons des traiteurs qui ramènent à manger, une photographe qui nous fait des shootings lors de nos événements et les offre,… Ils sont ravis de donner énormément et de rendre ce que l’on a pu leur offrir. La plus belle manière de voir que le service correspond aux besoins et aux enjeux, c’est de voir leur assiduité alors que le programme ne conditionne en rien le versement des aides sociales. Beaucoup de personnes sont aujourd’hui très fières de ce qu’elles ont pu développer. Mais ça prend du temps.

L’IFPD étant une fondation basée en Suisse, y a-t-il des liens particuliers entre Alter Start et les autres activités de la fondation?

Tout est toujours lié au sein de la fondation, chaque programme permettant d’enrichir la réflexion sur d’autres projets. Plus concrètement, la fondation va célébrer ses 20 ans le 25 octobre à Rolle. A cette occasion, 17 migrants originaires d’Érythrée, de Syrie, d’Iran, d’Afghanistan ou de Géorgie et qui suivent le programme seront présents pour expliquer leur démarche et leur activité. Les invités de l’événement pourront déguster des spécialités de traiteur et de pâtisserie préparées par les micro-entrepreneurs migrants encadrés par des chefs locaux et aidés par d’anciens étudiants de l’École hôtelière de Lausanne (EHL) pour le service. Au cours de la soirée, deux femmes migrantes partageront leurs histoires respectives, de la guerre à la recherche d’une nouvelle vie digne et financièrement autonome.

Sur quels axes travaillez-vous pour améliorer le programme à l’avenir?

Nous sommes en train d’imaginer des clusters métiers, où on ne jouerait plus seulement le rôle d’accompagnement mais nous pourrions aussi fournir une aide sur le long terme avec la recherche de clients, de partenaires marketing, de débouchés,… On réfléchit à un Alter Start Sport dans le domaine du coaching sportif. Il faut avoir davantage de personnes qui sont professionnalisées. Il faut des experts métiers pour faire grandir les projets. Il faut aussi faire connaître le projet et dire que c’est possible. La micro-entreprise d’un réfugié ne doit pas faire peur: ce n’est ni pour économiser des aides sociales, ni pour augmenter les revenus en cumulant les revenus… C’est se dire qu’on peut accueillir des réfugiés qui voient que l’entrepreneuriat ne leur est pas fermé, quitte à ce que ça leur serve de tremplin vers un emploi salarié. Même si l’indépendance financière est difficile à atteindre à court terme, la micro-entreprise peut devenir un complément de revenus qui est crucial pour sortir de l’enfermement dans les systèmes d’aide sociale. Certains acteurs se disent aujourd’hui que l’indépendance financière des réfugiés est une gageure: 80% des petites structures ne vivent pas au-delà des trois ans en Suisse, alors imaginez la proportion pour des migrants… Mais l’idée est de combiner des sources de revenus et de faire naître des vocations. Nous avons souvent des retours gratifiants: les migrants pratiquent davantage le français et ça les aide avec leurs enfants, ils donnent une autre image à ces derniers, plus valorisante,…

Article written by Matthieu Hoffstetter
Published in the Swiss Economic Magazine Bilan, 17 October 2019
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