Des migrants affinent leurs compétences culinaires
Le projet Alter Start Food professionnalise, à travers un traiteur de cuisine du monde, des microentrepreneurs qui se lancent dans la restauration.
Riham Abdu prépare sa recette érythréenne avec l’aide de Jérôme Binder, chef formateur du programme Alter Start Food.
Jessy Bali dépose des tomates cerises autour de son maldoum, un plat à base de bœuf haché aux épices, d’aubergines et de poivrons. Une recette originaire de sa ville natale, Alep, en Syrie. Un pays qu’elle a dû fuir, en 2013, avec ses trois enfants et son mari.
«Il y a deux ans, j’ai créé une association traiteur à Genève qui propose de la cuisine syrienne. J’avais l’habitude de faire à manger pour mon foyer, mais cuisiner pour 100 ou 150 personnes, ce n’est pas du tout la même chose.»
C’est justement pour répondre à cet obstacle et à bien d’autres qu’a été mis sur pied le projet Alter Start Food de la Fondation Internationale pour la Population et le Développement (IFPD).
«Nous avons lancé le projet Alter Start il y a quatre ans, explique Hélène Bayeux, directrice de la fondation. Son objectif est d’intégrer les personnes issues de la migration via la création de microentreprises. Un grand nombre souhaite se lancer dans le milieu de la restauration, alors nous avons mis sur pied, l’année dernière, Alter Start Food pour les coacher et les professionnaliser via un traiteur du monde solidaire.»
Tous les mardis, dans une cuisine professionnelle sur les hauts de Lutry, des migrants se retrouvent pour concocter avec l’aide de bénévoles et d’un chef jusqu’à 300 repas. Ces plats sont ensuite livrés le lendemain par des bénévoles aux clients de la région lausannoise.
Deux recettes sont proposées chaque semaine par deux des bénéficiaires du projet, à un prix de vente de 20 francs, dont une partie importante leur revient.
«Nous avons environ une dizaine de participants réguliers, souligne Danielle Zimmerman, coordinatrice d’Alter Start Food. Ils viennent de Syrie, d’Iran, du Tibet, d’Équateur, de Colombie, d’Érythrée, d’Algérie, de Mongolie ou encore d’Afghanistan.»
«L’objectif est qu’ils puissent dégager des revenus et, petit à petit, sortir de l’aide sociale.»
Jérôme Binder, chef formateur du projet
«À travers ce projet, nous apprenons à utiliser une cuisine professionnelle et ses outils, à diriger une équipe, à faire les commandes et aussi les règles précises à suivre en termes d’hygiène», précise Jessy Bali. Un coaching apporté par Jérôme Binder, chef formateur du projet.
«Notre but est de leur donner une visibilité sur une certaine période pour que ces personnes se fassent la main et se fassent connaître pour ensuite voler de leurs propres ailes. Et à terme, l’objectif est qu’elles puissent dégager des revenus et, petit à petit, sortir de l’aide sociale.»
Pour l’instant, la clientèle s’est faite par le bouche-à-oreille et réserve le lundi via un groupe WhatsApp.
«Nous commençons gentiment à faire de la publicité en ciblant plutôt les entreprises, car nous aimerions pouvoir livrer un nombre important de repas à un endroit plutôt que deux ici et là», précise Danielle Zimmerman. La volonté de l’équipe est aussi de développer l’aspect traiteur à domicile et l’événementiel dans l’immense salle qui jouxte la cuisine.
Ajuster les recettes
À l’autre extrémité de la cuisine, Riham Abdu roule ses feuilles de vignes autour d’une appétissante farce colorée pour son assiette froide érythréenne, l’autre plat préparé ce jour-là.
«Je viens de finir une formation de créatrice de vêtements à l’École romande d’arts et communication (Éracom), explique cette veuve, maman de six enfants. J’aimerais créer un commerce dans la couture, mais je réfléchis aussi à monter une petite entreprise de restauration avec des spécialités de mon pays.»
Chaque semaine, les participants font goûter leurs nouveaux plats au chef, qui va ensuite les ajuster et les documenter avant de les mettre au menu.
«Parfois, il faut peut-être rajouter quelques légumes, un peu plus de goût ou un peu moins, explique Jérôme Binder. Nous essayons de les pousser vers d’autres techniques et qu’ils testent de nouvelles cuissons, mais certains nous disent que ce n’est pas la même chose», sourit le chef.
Au-delà de la cuisine
«Nous voyons des gens arriver avec le poids de ce qu’ils ont vécu. Au fil des semaines, les voir revenir avec le sourire et se réjouir de cuisiner en équipe en sachant que leur cuisine plaît est vraiment motivant pour nous», avoue Jérôme Binder.
Un avis partagé par Danielle Zimmerman. «Beaucoup de ces personnes ont des soucis importants dans leur vie privée et des backgrounds très lourds. Si tous n’arriveront peut-être pas à lancer complètement leur entreprise, ils sortent d’ici la tête haute.»
Article written by Romain MICHAUD
Published in 24heures.ch, 20 August 2021
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